Directeur Général du Groupe Ares
J’ai grandi à Etaples-sur-Mer, un petit village de pêcheurs, dans le Pas-de-Calais. Au collège, j’ai vu des élèves bien plus doués que moi s’arrêter pour devenir ouvriers, pêcheurs ou fermiers. Je savais pourtant que certains auraient aimé continuer leurs études, voyager, sortir de chez nous… J’ai très tôt été marqué par ce sentiment que les hasards de la vie et notre société ne permettaient pas toujours à chacun de cultiver ses talents dans les meilleurs conditions, et de l’injustice, et du gâchis que cela représentait. Tout mon engagement repose sur ce sentiment, et cette envie, cette utopie, d’une société où chacun pourrait développer ses talents à leur juste mesure. Etudiant à l’ESCP, je me suis rapidement intéressé à l’entrepreneuriat. Imaginer le changement, entraîner des gens avec soi, voilà des idées qui me plaisaient. Porté par ce goût de l’entreprise et ce besoin d’utilité sociale, j’ai découvert le concept de l’Insertion par l’Activité Economique. Il repose sur la conviction que toute personne quelle que soit sa situation, peut se reconstruire par le travail et restaurer sa dignité en participant à l’échange social et économique. J’ai créé et dirigé différentes structures d’Insertion avant de prendre en 2006 la direction du Groupe Ares, un groupement d’entreprises d’insertion qui permet d’accompagner plus de 400 personnes en difficultés chaque année.
Le premier défi avec une entreprise de cette nature, et en dirigeant le Groupe Ares, c’est bien sûr de tenir la promesse sociale vis-à-vis des gens qui nous rejoignent : créer les conditions optimales pour que leur passage chez Ares soit réellement un tremplin, leur permette vraiment de retrouver les moyens d’agir sur leur propre trajectoire. Et de tenir cette promesse durablement, en assurant la performance économique de l’entreprise. Ce premier élément apporte déjà son lot de problématiques et défis managériaux passionnants. Comment motiver des salariés qui n’ont pas vocation à rester dans l’entreprise ? Comment donner aux équipes les outils nécessaires pour qu’elles sachent assurer l’équilibre nécessaire entre la contrainte économique et la mission sociale de l’entreprise ? Comment gérer, dans une chaîne de production, des équipes très hétérogènes dans lesquelles les gens ont des niveaux d’expérience et des capacités très différentes les uns des autres ?
Le deuxième défi, qui me tient beaucoup à coeur, c’est de voir comment cette action, qui est pour moi une sorte d’expérimentation permanente, est de nature à influer, inspirer, bousculer, un certain nombre de modes de fonctionnement auprès de nos parties prenantes, aussi bien vis-à-vis du monde de l’entreprise que vis-à-vis de la sphère politique. Comment intégrer la fragilité dans l’entreprise ? Comment faire qu’une personne, fragilisée à un moment donné, puisse redevenir un élément moteur du projet collectif de l’entreprise ? C’est au-delà et bien plus largement la question de la place des gens dans le management, dans notre vision de l’entreprise. Comment faire que l’entreprise soit autre chose qu’un lieu où l’on passe son temps à travailler pour « remplir la gamelle » ? Comment faire que les gens puissent être un peu plus en phase avec eux-mêmes, leurs convictions et leurs idées, au sein de l’entreprise ? Il s’agit de montrer qu’en prenant en compte un petit peu plus les gens tout simplement, on est capable de développer une économie, et des entreprises tout aussi performantes. Agir également sur la sphère politique, en se demandant comment mettre en place des logiques de responsabilité et d’inclusion sociale, plutôt que des logiques de gestion de la pauvreté par l’assistanat ?
Pourquoi je participe à tribe ?
Profondément convaincu que l’action sociale doit s’inscrire dans une logique de logiciels libres, je suis très heureux de participer à cette édition de Tribe, et de venir partager et recevoir ce qui se développe, s’imagine, se pense et se créer, pour inventer ensemble, pas à pas, une économie un peu plus humaine, une société un peu plus juste.